Dans le cadre de la RE 2020, le module D fait son retour avec une nouvelle comptabilité des Bénéfices et charges liés à la valorisation des produits de construction et équipements. L’occasion de faire le point sur cette grandeur méconnue et ce qu’elle peut vous apporter. Nous passons en revue les dessous du module D, une piste de conception pour vos projets à travers les calculs de l’ACV Bâtiment !
La première étape de la méthode définie par la norme NF EN 14040 est la définition des frontières du système, au sein duquel seront comptabilisés tous les échanges de matières et d'énergie.
Les différentes phases du cycle de vie d'un produit de construction sont définies par la norme NF EN 15804 et réparties en grandes étapes :
Les impacts environnementaux de votre produit sont alors répartis selon la phase du cycle de vie où ils sont effectivement réalisés. Une décomposition qui se retrouve dans la plupart des données de la base INIES, détaillée dans les différentes phases principales pour les fiches de données environnementales et sanitaires (FDES). Pour les données par défaut, elle n’est en revanche pas forcément disponible.
Le module D apparaît alors comme une cinquième phase, nommée « Bénéfices et charges au-delà des frontières du système ». Elle est obligatoire pour la plupart des FDES mais pas toujours documentée pour les données par défaut.
ll permet de « reconnaître la conception pour la réutilisation, le recyclage et la récupération » des produits de construction, en comptant les impacts évités par la production de nouvelles matières ou d'énergie qui seront utilisées pour d'autres produits ou d'autres processus. Et ce, en dehors des frontières du système tel que défini dans l'analyse de cycle de vie.
Le module D valorise le produit étudié, car celui-ci fournit à de nouveaux systèmes des ressources et matières premières secondaires.
Le module D est la somme de bénéfices nets, calculés pour quatre flux sortant des frontières du système :
Le calcul du module D est détaillé dans l'annexe D.3.4 de la norme NF EN 15804+A2. Pour chacun de ces flux :
Prenons un exemple dont les données sont disponibles dans la base INIES : « Fenêtre et porte-fenêtre double vitrage, fabriquée en France, en Bois d'essence tempérée européen ».
D'après les hypothèses détaillées dans sa FDES, le produit contient de l'acier, de l'aluminium, du vitrage et du bois.
La réutilisation, la récupération ou la recyclabilité potentielle de ces matériaux permet d'envisager un module D négatif, soit des bénéfices pour l'environnement.
Concrètement, en prenant l’exemple du bois contenu dans la fenêtre, la valorisation énergétique de ce dernier en fin de vie permet d'éviter la production d'énergie par une autre source plus impactante ; c'est ce qui est valorisé dans le module D.
Le verre contenu dans la fenêtre peut également être recyclé. Comme évoqué précédemment, en comptabilisant les flux nets, on prend en considération deux flux : le vitrage recyclé en fin de vie et le vitrage recyclé utilisé pour le produit.
Les deux contributions incluent aussi un rendement R, précisé dans les hypothèses de calcul de la FDES.
Il existe de même une contribution au module D pour l'aluminium : puisqu'il est potentiellement recyclé, un autre produit nécessitant de l'aluminium n'aura pas besoin d'extraire de ressources primaires aluminium.
Prenons l’exemple d'un autre matériau : le béton, avec la FDES « Béton armé pour dalle, C25/30 XC1/XC2 CEM II/A ».
À leur fin de vie, les granulats de béton concassé peuvent être utilisés comme graves en sous-couche routière. Parce qu'il permet d'éviter la consommation de graves d'origine naturelle (roches extraites et concassées), le module D de ce matériau est négatif, avec des impacts évités.
Pour les plus tenaces d'entre vous : dans le calcul du module D, les impacts de fin de vie de tous les constituants du système atteignant le statut de fin de déchet sont pris en compte, à l'exception des co-produits. Les constituants du système qui atteignent le statut de fin de déchet lors de la phase de production (modules A1-A3) sont considérés comme des co-produits, et donc non comptabilisés dans le module D.
Vous êtes désormais experts en calcul du module D de produits de construction. Il est donc temps de se pencher sur sa prise en compte dans l’ACV Bâtiment !
Petite précision de vocabulaire : le module D ou « Bénéfices et charges au-delà des frontières du système » est une phase de l'analyse de cycle de vie du produit que nous avons détaillée plus haut.
Les « Bénéfices et charges liés à la valorisation des produits de construction et équipements », que l'on appellera seulement « Bénéfices », correspondent à la contribution d'un produit aux gains d'impact à l'échelle du bâtiment, réalisé sur la période d'étude du bâtiment (50 ans).
Si vous trouviez cette méthodologie opaque, commençons par un petit rappel… Le module D n'est pas inclus dans le calcul de la contribution du produit aux impacts sur le réchauffement climatique, lors du calcul du « total cycle de vie ». En revanche, il est compté dans le calcul de l'indicateur Eges, en kg CO2 eq / m² SDP, avec un facteur ⅓, et sans prise en compte de la quantité effective de produits.
RE 2020 : ce qui change pour le module D
D'après la méthodologie E+C-, le calcul des bénéfices pondère le module D d'un coefficient de ⅓ qui est censé prendre en compte l'imprévisibilité de la réalisation effective de la valorisation.
L’idée, c’est que tous les composants pouvant être recyclés ne le sont pas, parce que mal triés lors des remplacements ou de la déconstruction finale. Nous l'avons vu plus haut : ce caractère prévisionnel est déjà pris en compte dans le calcul du module D, et le facteur ⅓ disparaît de la méthodologie de calcul de la RE 2020.
Avec la RE 2020, le remplacement et la quantité de produits sont pris en compte dans le module D ! Les bénéfices sont rapportés à la quantité de produits de construction réellement utilisés sur tout le cycle de vie du bâtiment, ce qui n'était pas le cas dans E+C-.
En somme, dans E+C-, peu importe si vous utilisiez 300 fenêtres ou une seule fenêtre : les bénéfices prenaient en compte le module D une seule fois – et encore… plutôt ⅓ de fois comme nous venons de le voir !
De la même façon, si vous changiez une fois chaque fenêtre au cours de la période d'étude de 50 ans (600 fenêtres versus 2, si vous suivez toujours), cela n'était toujours pas pris en compte.
Difficile, dans ces conditions, de valoriser à l'échelle du bâtiment des produits dont la conception intègre la récupération et la recyclabilité !
Dans E+C-, c'était au niveau du calcul de Eges que les bénéfices étaient intégrés. Dans la RE 2020, c'est bien au niveau du calcul du total cycle de vie de chaque indicateur.
Ce que ça change ? Rien pour la comparaison des indicateurs aux seuils, par exemple. Par contre, cela change la compréhension globale que l'on a d'un impact produit : on n'a plus l'impression de valoriser des bénéfices « en plus », mais ils sont bien intégrés dès qu'on regarde l'impact total d'un produit à l'échelle du bâtiment.
Lorsque vous comparerez deux matériaux pour vos choix de conception, et que vous regarderez « total cycle de vie » de votre indicateur sur votre outil d'ACV bâtiment, vous saurez donc que l'impact observé inclut les efforts de conception pour la réutilisation et le recyclage.
Et bien sûr, il est comptabilisé de manière dynamique pour l'indicateur « Potentiel sur le réchauffement climatique » dans l'ACV bâtiment. Plus spécifiquement le gain d'impact dû au module D est compté temporellement au moment du remplacement d'un produit et à la fin de la période d'étude, et est aussi pondéré par les coefficients appliqués par la RE 2020.
Sans surprise, le sujet est plutôt le potentiel de réchauffement climatique calculé de manière dynamique, puisque c'est le résultat qui est attendu pour la comparaison aux seuils à partir du 1er janvier 2022 !
En février 2021, nous avons réalisé une étude comparative entre deux bâtiments équivalents de logements, présentant deux solutions structurelles différentes : la première en béton armé, et la deuxième en bois lamellé croisé (CLT). Ici, nous avons fait le choix d’analyser les résultats de cette étude avec le prisme de l'impact des bénéfices sur les choix de conception d'un bâtiment.
Si l’on compare 1 m3 de plancher en CLT et d'1 m3 de dalle en béton armé, on observe que :
Et donc ? Les bénéfices permettent de diminuer l'impact de ces deux matériaux, et on observe dans le cas du CLT une baisse significative, qui représente 30 % de la compensation permise par 1 m3 de plancher en CLT.
Si les bénéfices de la dalle en béton armé sont dûs à la réutilisation en sous-couche routière des bétons concassés en fin de vie, la FDES du CLT nous apprend que ses bénéfices sont dûs :
Le CLT semble proposer un avantage considérable par rapport au béton pour diminuer l'impact carbone d'un bâtiment. Mais étudions les deux variantes complètes…
Les résultats de l'impact sur le réchauffement climatique sont les suivants :
Ce qui représente un écart de 30 % ! Les bénéfices en sont partiellement responsables, avec une participation de -13 % pour la variante en CLT contre -3 % pour la variante en béton armé.
Chez Vizcab, nous aimons utiliser la répartition de l'impact d'un bâtiment en ses composants les plus impactants, parce qu'elle fournit une grille d'analyse précise : une quinzaine de composants représentent généralement près de 80 % de l'impact total.
C'est la valeur absolue de cet impact qui est pris en compte dans cette décomposition, puisqu'avec la RE 2020, on retrouve des produits avec des impacts négatifs.
On relève trois composants principaux dont les bénéfices ont un impact visible sur le résultat total du bâtiment :
Si les bénéfices du béton semblent importants en absolu, ils compensent uniquement 3 % des impacts sur le réchauffement climatique liés à ce matériau.
La solution serait de choisir un matériau dont les bénéfices compensent d'autres impacts irréductibles, mais qui ne produit pas trop de gaz à effet de serre lui-même !
Finalement, cette étude permet de mieux appréhender ce qui se cache derrière le module D. Il s’agit d’un outil puissant pour les concepteurs qui souhaitent compenser une partie des impacts sur le réchauffement climatique de leur bâtiment par le choix de composants avec des bénéfices élevés. Une conception de produit qui intègre et favorise la réutilisation, le recyclage et la récupération peut faire une grande différence !
Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire ID : 27869, consultée le 2 décembre 2021
Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire ID : 22908, consultée le 20 novembre 2021
Un matériau peut sortir du statut juridique de déchet sous certaines conditions, notamment l'existence de preuves d'usages économiques, par exemple pour les matériaux recyclés.
Référentiel « Energie – Carbone » pour les bâtiments neufs – Méthode d’évaluation de la performance énergétique et environnementale des bâtiments neufs – Juillet 2017
L'étude complète est disponible en trois volets sur le média Construction 21, sous le titre "ACV dynamique vs Statique"
Panneau CLT (lamellé-croisé), fabriqué en France, ID : 27250, consultée le 20 novembre 2021